Si la proportion d'hommes prenant l'initiative de changer leurs habitudes alimentaires pour tendre vers le végétarisme est grandissante, statistiquement parlant, la pratique du végétarisme demeure majoritairement une affaire de femmes.
Comment expliquer ce phénomène ? Si peu d'études entre genre et alimentation ont été conduites, ma rencontre avec Delphine Fersing, étudiante en Master Sciences sociales, spécialisée en Sciences de l'alimentation à l'ISTHIA nous donne l'occasion ci-après de porter un regard plus analytique sur le lien subtil entre ces deux thématiques.
Bonne lecture !
(...) "Un troisième élément, et non des moindres, qui pré-sensibilise à l’entrée dans le végétarisme est l’identité de genre. Si nous n’avons pas à disposition des données sur les statistiques combinant le genre et la pratique végétarienne, il me semble important de considérer le genre comme un élément ayant potentiellement un impact sur la pratique végétarienne. Pour des raisons de temps et de pertinence par rapport à mon objet d’étude, je me propose de retracer brièvement ce qui a été fait dans ce domaine. Puis dans un deuxième temps, ces études seront mises en perspective avec le terrain exploratoire que j’ai pu réaliser. Tout d’abord, il est bon de rappeler que le genre s’immisce d’une manière plus ou moins significative dans tout phénomène social. Comme le soulignent les auteurs de l’article « L’alimentation, arme du genre ? », « Quel que soit le domaine d’étude, et quelle que soit la société étudiée, les chercheur-e-s doivent s’attendre à trouver sur leur terrain des représentations et des pratiques inégalitaires genrées […] L’alimentation n’échappe pas à cette prédiction1 .» Il est intéressant de souligner que les études qui croisent les thématiques du genre et de l’alimentation sont rares. Ce vide épistémologique est révélateur de l’allant de soi qui pèse encore aujourd’hui dans les sciences sociales. L’opposition besoin biologique et déterminants culturels n’échappe pas à l’alimentation2 On considère en effet que l’alimentation relève avant tout d’un besoin biologique de base pour la survie de l’Homme. Sa dimension culturelle est subséquemment relayée comme un non-objet. Or, il est plus que nécessaire pour la connaissance scientifique et la mise à jour des discriminations qui s’opèrent dans le monde social de dépasser cette logique binaire pour celle d’une lunette complémentaire. En effet, les approches biologique et culturelle ne sont pas antinomiques mais complémentaires pour comprendre un phénomène social. Concernant le champ de l’alimentation, le milieu scientifique francophone s’est peu attelé à voir comment s’exprime le genre dans son objet3 . On peut toutefois convoquer les travaux de Colette GUILLAUMIN4 qui a montré comment la perception différenciée de la nutrition selon le genre s’imprime sur les corps. Annie HUBERT (2004) ou encore Tristan FOURNIER (2012) ont également mis en lumière les représentations et attentes qui pèsent sur les femmes dans le champ alimentaire. Il existe en effet des pressions normatives exercées sur les femmes pour qu’elles adoptent un certain rapport à l’alimentation. Dans cette même lignée, l’idéal-type proposé par Jean-Pierre CORBEAU et Jean-Pierre POULAIN5 valide l’hypothèse de sensibilité genrée à certaines catégories d’aliments. Parmi les profils (dits « éthos ») du mangeur contemporain que les auteurs proposent, la figure des « tenants du nourrissant léger » est particulièrement intéressante ici à mobiliser. Apparus dans les années 1970, les tenants du nourricier léger correspondent à des individus prêtant une attention toute particulière aux produits consommés. Plutôt que de la considérer comme un moyen de se remplir la panse (voir « les tenants du nourrissant consistant »), l’alimentation est contrôlée, sujette à méfiance. Dans les faits, le nourrissant léger se tourne davantage vers des aliments allégés (par exemple les yaourts 0 % de matière grasse) et réputés sains (fruits et légumes, sources de vitamines, etc). Ce profil correspond plutôt aux femmes urbaines. Aussi, cette typologie illustre t-elle l’idée qu’il existe un lien entre profil alimentaire et genre6.
Par ailleurs, et nous terminerons ici cette réflexion, l’importante étude comparée sur la place donnée à l’alimentation (concernant notamment son atout santé) aux États-Unis, au Japon, en Belgique flamande et en France7 propose des résultats qui requièrent notre attention. Parmi les conclusions, les auteurs ont mis en exergue le fait que les femmes sont tendanciellement et quelque soit le pays concerné plus soucieuses de l’équilibre nutrition-santé, des problématiques de cholestérolémie et de l’esthétique du corps que les hommes (voir tableau récapitulatif en annexe B). On voit donc ici que malgré les reconfigurations de genre qui s’opèrent dans l’alimentation pour venir à bout des inégalités, il reste encore du chemin à parcourir. Croiser les thématiques du genre à l’alimentation constitue sans nul doute une porte d’entrée pour mettre en lumière les processus discriminatoires et ainsi, progressivement, les déconstruire. En raison du temps imparti pour réaliser ce mémoire, je n’ai pas pu investiguer plus en profondeur les recherches menées sur les thématiques du genre et de l’alimentation, notamment dans le milieu anglo-saxon où les études sont plus foisonnantes. Pour éviter la répétition, je renverrai donc les personnes intéressées à l’article « L’alimentation, arme du genre ? » (précédemment mobilisé) qui propose un tour d’horizon assez complet sur ce qui a été fait sur ces questions.
Après avoir retracé les grandes lignes des travaux sur les thématiques du genre et de l’alimentation, il me semble ici intéressant de voir quelques analyses qui ont pu ressortir de mon terrain exploratoire. Les démonstrations proposées dans les paragraphes suivants sont des hypothèses qui nécessitent d’être validées et/ou invalidées par des études plus approfondies. De plus, il est nécessaire de prendre en considération que le monde social est éminemment plus complexe. Par conséquent, il oblige le chercheur à faire des compromis et des simplifications. Ceci étant établi, je propose d’enchaîner avec les différentes réflexions. L’échange avec Laëticia (Toulouse) a été riche d’enseignements dans la mesure où mon interlocutrice prodigue dans sa vie professionnelle des conseils pour faciliter la transition vers un régime alimentaire. De ce fait, elle a donc pu accumuler une certaine expérience de terrain qui constitue un atout non négligeable pour cette présente étude. Lorsque je lui demande de me parler des profils récurrents qui viennent la consulter, Laëticia me rapporte ceci :
D: « (rires) Et par rapport à votre activité de coach, votre clientèle c'est plutôt des hommes ou des femmes de manière générale ? Ou les deux ?
Laëticia: Alors, j'allais dire bien sûr. Parce que c'est un truc incroyable. Quand moi j'ai monté mon activité, je m'étais pas du tout dit genre y aura plus de femmes ou plus d'hommes […] Mais effectivement, c'est beaucoup (insiste) plus des femmes [...] Alors, les hommes commencent à s'y intéresser mais c'est (souffle). Mais disons que les hommes, ils vont aller derrière (insiste) la femme. C'est-à-dire que c'est la femme qui va commencer, on va lui laisser faire ses petits tests. On va de temps en temps goûter son assiette et se dire "tiens finalement c'est pas si mauvais que ça" (rires). "Ouh c'est bon, moi j'veux bien du comme ça" (rires). Et voilà, souvent c'est la femme qui va (cherche ses mots), qui va amener ça au sein du foyer. C'est ce que je constate.
D: Ouais, ouais. Et vous pensez, c'est compliqué comme question, mais vous pensez que c'est lié à quoi ?
Laëticia: Alors (rires), c'est une bonne question (réfléchit). Pour moi, je pense que la femme a une (réfléchit). J'allais dire une conscience plus mondiale de son impact qu'un homme. Plus de euh, je sais pas si on peut dire égoïsme mais euh, les hommes sont plus égocentrés sur toutes ces questions environnementales (insiste), bien-être animal, et cetera (pause). Je pense que c'est un peu ça. Et puis après les femmes elles euh (réfléchit). Alors déjà c'est beaucoup elles qui cuisinent, le plus souvent même si y'a d'excellents hommes cuistos (parle plus fort). Mais (respire fort) c'est souvent elles qui tiennent l'espace de la cuisine dans la maison, quand même.
Cet échange est particulièrement significatif au vu des réflexions proposées précédemment. D’une part, il révèle et actualise le fait qu’il existe bel et bien un construit de genre dans l’alimentation. L’idée que la femme ait « une conscience plus mondiale de son impact qu’un homme », qu’elle soit moins « égocentrée », moins « égoïste » sont des éléments révélateurs des représentations de la masculinité et de la féminité dans une société donnée, à un moment donné. Ce point de vue est loin d’être partagé uniquement par Laëticia, il se retrouve également chez d’autres informateurs, notamment chez les hommes interrogés :
Antoine : « […] Et après bon, faut savoir que, vous êtes toujours plus euh. Vous les femmes, vous êtes plus à l'écoute de votre corps que les hommes donc euh. Plus raisonnées que nous, donc euh c'est peut-être logique qu'il y a plus de femmes […] J'vois très peu de, d'hommes végétariens, maintenant que tu me le dis (pause) […] Mais après peut-être parce que les, enfin j'sais pas ça va être un peu rétrograde (souffle) mais peut-être parce que les hommes ne font pas à manger [...] Du coup les femmes font euh à manger à l'homme et se font à manger à elles-mêmes, bah du coup (réfléchit). Elles vont changer elles leur régime euh, et l'homme va rester traditionnel »
Johann : « Maintenant c'est tout l'inverse quoi, c'est (pause) quelqu'un qui assume d'être végétarien c'est vraiment j'sais pas comment dire. C'est vraiment beau quoi, peut être encore plus pour un homme parce qu'a priori dans le truc inconscient, dans le truc collectif être végétarien c'est plus pour les femmes quoi. Parce que les mecs ça mange des steaks quoi (voix plus insistante). C'est viril et ça mange des steaks (rires) »
En plus de montrer les représentations de la féminité et de la masculinité, ces extraits d’entretiens soulignent la dimension genrée des espaces au sein du foyer. Si de nombreux travaux anthropologiques ont été réalisés (RUHLMANN (2016), TESTART (2014)) pour montrer comment s’organisent les activités sociales, notamment les activités de cuisine, il est très intéressant ici de voir qu’il existe encore dans les sociétés européennes un rapport genré aux espaces de la cuisine. Si un mouvement de fond tente de déconstruire les représentations liées au genre, les discours des informateurs révèlent la prégnance des construits genrés dans le champ alimentaire. La dialectique de l’homme « traditionnel » et de la femme « innovante » mise en évidence par Antoine est particulièrement riche de significations. Elle interroge notamment sur l’idée de tradition (qui serait du coup plutôt masculine) et de modernité (du pôle féminin). De plus cette binarité interroge sur la dimension hiérarchique entre masculin et féminin. On peut ici reprendre l’idée de « valence différentielle des sexes » défendue par Françoise HÉRITIER8 . Selon l’auteur, il existe dans toute société une valence supérieure du masculin sur le féminin. Cette supériorité a des impacts profonds sur la fondation de la vie sociale. En complément, l’idée de tradition et de masculinité ramène également aux travaux de Pierre BOURDIEU sur la domination masculine9 . Il a montré que la rigidité évidente à faire bouger les lignes dans la lutte des sexes est liée à une cause profonde, à savoir la reproduction. Le construit hiérarchique du genre nécessite pour sa déconstruction que le dominant (à savoir les hommes) reconnaisse sa position et fasse en sorte de ne plus la reproduire. Or les schèmes mentaux et l’allant-de-soi profondément intégrés par les acteurs sociaux, à la fois chez le dominant mais aussi chez le dominé (violence symbolique), rendent cette déconstruction longue et chaotique. Dans le cadre de cette étude, on peut voir que bien que l’attribution de certains aliments réputés masculins est en train de se déconstruire (l’ironie ou la colère de mes informateurs en sont les témoins) et qu’il existe une meilleure répartition dans les tâches domestiques10, mes interlocuteurs sont encore pris par des lunettes qui catégorisent et hiérarchisent leur vision du monde social. D’un point de vue sociologique, il est extrêmement intéressant d’observer la force des construits différentiels qui opèrent en parallèle à la sensibilisation de plus en plus importante aux valeurs égalitaires.
Enfin il me semble intéressant de discuter de l’introduction du végétarisme dans le foyer. Comme le soulignent Laëticia, « souvent c'est la femme qui va (cherche ses mots), qui va amener ça au sein du foyer » ou Antoine, d’une manière détournée, « […] peut-être parce que les hommes ne font pas à manger [...] Du coup les femmes font euh à manger à l'homme et se font à manger à elle-même, bah du coup (réfléchit). Elles vont changer elles leur régime euh, et l'homme va rester traditionnel », on peut supposer que la diffusion du végétarisme se fait essentiellement par la femme puisque c’est elle qui occupe l’espace de la cuisine. De par son expérience à maîtriser la préparation et la cuisson des aliments, proposer des repas sans viande à Enfin il me semble intéressant de discuter de l’introduction du végétarisme dans le foyer. Comme le soulignent Laëticia, « souvent c'est la femme qui va (cherche ses mots), qui va amener ça au sein du foyer » ou Antoine, d’une manière détournée, « […] peut-être parce que les hommes ne font pas à manger [...] Du coup les femmes font euh à manger à l'homme et se font à manger à elle-même, bah du coup (réfléchit). Elles vont changer elles leur régime euh, et l'homme va rester traditionnel », on peut supposer que la diffusion du végétarisme se fait essentiellement par la femme puisque c’est elle qui occupe l’espace de la cuisine. De par son expérience à maîtriser la préparation et la cuisson des aliments, proposer des repas sans viande à son compagnon peut être lu ici comme un moyen subtil d’affirmation de soi. En effet, le végétarisme peut permettre de redistribuer plus équitablement les rôles au sein du foyer. C’est par les « armes » qui l’ont rendue plus ou moins dominée que la femme peut y trouver un moyen de retourner sa position dominée en position dominante. Cette notion de détention des armes renvoie à l’ouvrage de Paola TABET, Les Mains, les outils, les armes qui a mis en évidence que l’interdit fait aux femmes d’apprendre à utiliser une arme et d’aller à la chasse conduit à la légitimation du contrôle de la violence par les hommes. Autrement dit, le rapport différentiel aux armes selon le genre engendre une position de dominant/dominé dans le mesure où l’un détient un savoir que l’autre n’a pas et n’est pas autorisé à avoir à cause de son identité sexuée. Pour le végétarisme et dans la poursuite de cette idée, la surreprésentation des femmes est loin d’être sans signification pour la féministe et auteur Carol J.ADAMS. Dans son livre, The Sexual Politics of Meat : a Feminism-Vegetarian Critical Theory, ADAMS considère que la surreprésentation des femmes à décider de ne manger de la viande vient bien au-delà des considérations éthiques ou morales. Selon elle, en devenant végétariennes les femmes refusent symboliquement le pouvoir masculin historiquement construit autour de la viande. Dans la lignée de Paola TABET, ADAMS considère qu’en raison de la profonde dimension masculine de la viande - à savoir que la chasse soit une activité historiquement masculine, que les armes soient détenues par les hommes et rendent par conséquent la femme dépendante des hommes pour manger de la viande – l’adoption d’un régime végétarien est symboliquement un moyen pour les femmes d’affirmer leur indépendance dans leurs besoins de base. L’analyse proposée par l’auteur peut être complétée ici avec les observations précédemment rapportées. Il semble en effet qu’au delà de l’indépendance suggérée par l’adoption d’un régime végétarien, les femmes peuvent mettre à profit leur savoir en cuisine comme une « arme » face à la domination qu’elles ont historiquement vécue. Dès lors, refuser de cuisiner de la viande à l’homme permet à la femme d’affirmer ses propres positions, et plus largement de reconquérir une identité globale plus harmonieuse. Dans les entretiens exploratoires, aucune femme n’a évoquée cette idée de revanche sociale par le végétarisme, il est donc nécessaire de prendre des précautions avec les conclusions proposées ici. Aussi, il est important de prendre garde au fait qu’elles n’ont pas forcément conscience de ce que ces choix, d’apparence très personnels et individuels, peuvent dire des identités et des rapports au monde social. Il reste que se défendre d’une identité singulière, une alimentation particulière, vient comme un moyen de s’affirmer, quitte à être dans le non-respect de la norme (cette idée sera reprise plus en aval du travail). Pour les femmes, choisir une alimentation particulière prend une connotation bien singulière que nous ne pouvons ignorer."
Si vous souhaitez, Delphine se propose de répondre à vos questions : delphinefersing57@gmail.com
1 FOURNIER (Tristan), JARTY (Julie), LAPEYRE (Laurence), TOURAILLE (Priscille), « L’alimentation, arme du genre ? », Journal des anthropologues, 2015, n°140-141, P21-22
2 En sciences sociales, cette binarité a été en partie construite par DURKHEIM lorsqu’il tente de poser les cadres méthodologiques des sciences sociales. Dans Les Règles de la méthode sociologique, dès le début du chapitre 1 il écarte l’alimentation du champ d’investigation sociologique : « Chaque individu boit, dort, mange, raisonne et la société a tout intérêt à ce que ces fonctions s’exercent régulièrement. Si donc ces faits étaient sociaux, la sociologie n’aurait pas d’objet qui lui fût propre, et son domaine se confondrait avec celui de la biologie et de la psychologie » (P7) Puis plus loin, lorsqu’il parle de la socialisation, il considère finalement l’alimentation comme une des « expériences » dans lesquelles l’adulte impose et transmet à l’enfant le modèle de sa culture.
3 Comme le soulignent les auteurs de l’article précédemment cité, les travaux de recherche sur le genre et l’alimentation en France ont été principalement réalisés par une équipe du CNRS, appelée « Anthropologie alimentaire différentielle » qui a vu le jour à la fin des années 1970. On y retrouve notamment les travaux d’Igor DE GARINE sur les conséquences des inégalités alimentaires en Afrique. Par ailleurs, un mouvement de féministes matérialistes s’est parallèlement développé, en contestation à ce premier groupe de chercheurs. Ce mouvement féministe considéraient le groupe du CNRS laissait trop souvent de côté la domination masculine qui se joue dans le champ de l’alimentation.
4 GUILLAUMIN (Colette), Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de Nature, Éditions IXE, 2016, P240
5 CORBEAU (Jean-Pierre), « Pour une représentation sociologique du mangeur », Economies et Sociétés, 1997 Développement agro-alimentaire, n°23, P147-162. Voir également Chapitre 6 : « L’effervescence des éthos » in CORBEAU (Jean-Pierre), POULAIN (Jean-Pierre), Penser l’alimentation. Entre imaginaire et rationalité, Privat, 2008, P209
6 Il est important ici de relever que s’il existe un lien entre alimentation et genre, il peut parfois être fragilisé ou reconfiguré. L’éthos du « gastrolastress » (propre aux années 2000) proposé plus loin par CORBEAU et POULAIN tient justement sa particularité du fait qu’il gomme les différences genrées tout en créant une indifférenciation, une « unisexualisation » de l’alimentation et plus largement de la société. Malgré les reconfigurations contemporaines et les efforts fournis concernant les discriminations de genre, il me semble important de rappeler qu’il serait illusoire de les considérer comme relevant du passé. Des traces profondes subsistent, dans la mesure où la différenciation genrée – ici dans le domaine à l’alimentation - a participé et participe encore à la construction de l’identité culturelle. Il serait intéressant de voir comment ces tentatives de gommer les différenciations alimentaires s’opèrent, sur quels objets elles portent et par quels acteurs.
7 ROZIN (P.), FISCHLER (C.), IMADA (S.), SARUBIN (A.), WRZESNIEWSKI (A.), « Attitudes to Food and The Role of Food in Life in the U.S.A, Japan, Flemish Belgium and France : Possible Implications for the Diet-Health Debate », Appetite, 1993, n°33, P163-180
8 HÉRITIER (Françoise), Masculin/Féminin (tome 1 et 2), Odile Jacob, 2012, P326 9 BOURDIEU (Pierre), La Domination masculine, Points, 2014, P192 10 Si les statistiques de l’INSEE révèlent que la répartition des tâches ménagères selon le genre ont peu évolué les 25 dernières années, il semble toutefois que dans le discours de mes informateurs ces derniers ont à cœur de répartir plus égalitairement les tâches domestiques. Cette sensibilité peut s’expliquer en partie par le fait que au vue de leur âge et des valeurs véhiculées par l’adoption d’un régime végétarien (respect, absence de domination de l’Homme sur l’animal, etc), ils sont plus sensibles aux questions des inégalités sociales, toute confondues.